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    PATRICK GASPÉRONI

    Patrick Gaspéroni était le professeur principal de Patrice Loko en sport-études à Gien, de 1983 à 1985. Il est à ce titre un observateur privilégié - avec son ami Jean-François Laurent - d'un moment charnière de la vie du jeune footballeur. Son rôle et son influence dans la carrière de Patrice sont immenses. Patrick Gaspéroni est resté quelques années dans le football après son expérience dans le Loiret. À Tours plus précisément, où il a dirigé le Centre Technique Régional Omnisports dans les années 90. Il a ensuite pris la présidence du Tours Football Club en 1997, avec pour mission de rétablir des comptes dégradés - ce qu'il fera avec brio - jusqu'à la reprise du club par l'homme d'affaire Frédéric Sebag en janvier 2003. Il est depuis resté éducateur, ayant repris un poste de professeur d'E.P.S. dans l'éducation nationale.

    RESPONSABLE DU SPORT-ÉTUDES DE GIEN (1981/1988)

    Entretien réalisé en août 2003

    Le sport-études du collège Bildstein de Gien

    Monsieur Gaspéroni, nous nous rencontrons aujourd’hui pour parler de Patrice, que vous avez connu tout jeune, il devait avoir environ 12 ans…
    En réalité, j’ai connu les deux fils Loko, qui étaient tous les deux très différents. William était toujours dans la lune, un oiseau passait, hop, il le suivait (sourire), un garçon adorable. Patrice, lui, était beaucoup plus attentif, fixé sur ce qu’il voulait faire.

    Que dire sur Patrice et sur tous les gamins exceptionnels que j’ai eu avec moi à l’époque, Franck Gava, Cédric Lecluse, David Le Frapper ?… (pensif)

    J’ai vécu huit années de rêve à Gien, je m’endormais football, je rêvais football, je me réveillais la nuit pour imaginer la journée du lendemain avec les gamins. Pour moi, un match de football n’avait plus de sens si je n’en sortais pas des exercices d’entraînement… C’en était devenu une maladie. Alors quand vous tombez sur des garçons pareil, votre carrière s’en trouve fichue, parce qu’après, vous allez dans d’autres bahuts avec des élèves « normaux » (rires) !

    Le sport-étude à Gien - 1983
    Le sport-étude à Gien – 1983

    La rencontre avec Patrice, c’est donc en sport-études à Gien… en quelle année ?
    C’était en « classe horaires aménagés » ou « classe football premier cycle »,  ça a dû changer dix fois de noms en ligue du Centre. On s’entraînait cinq fois par semaine, dont un entraînement technique en salle le mercredi. C’était un groupe de vingt-deux ou vingt-trois garçons, théoriquement les meilleurs du département du Loiret.
 Patrice a dû arriver en 1983. Je l’ai eu deux ou trois ans, il me semble qu’il avait redoublé sa 4eme. Il faudrait lui demander. Il a dû faire Minimes 1, Minimes 2 et Cadets 1.

    C’était ouvert à tous ?

    Non, c’était sur dossier. Sur soixante ou soixante-dix candidats, on en retenait une dizaine chaque année, en plus des dix qu’on gardait. On faisait une sélection très pointue avec Guy Ferrier (NDLR : actuel sélectionneur des U17 féminine), à l’époque conseiller technique départemental (on dit aujourd’hui Conseiller Technique Régional). Il venait travailler avec nous à la section technique une fois par semaine, le vendredi.

    Aviez-vous une méthode particulière dans la formation ? 

    J’avais fait des entraînements ouverts à tous les éducateurs, qui pouvaient venir observer nos méthodes de travail sans même prévenir. C’était à la fois une structure de pré-formation et une structure expérimentale. On avait le temps d’essayer des choses que les clubs n’avaient pas la possibilité de tester. Guy Ferrier travaillait également avec l’équipe de France Junior à l’époque et voyageait souvent. Il pouvait être un jour à Nantes et m’appeler pour me dire « tiens, j’ai vu faire ça, tu devrais peut-être essayer ». 


    Personnellement, j’ai été très marqué par l’école nantaise de pré-formation, même si je n’y suis jamais allé autrement que par procuration, via Guy Ferrier. J’ai été très imprégné par cette méthode de travail. Peut être parce que n’ayant pas été un très bon joueur, j’ai réfléchi aux lacunes que j’avais eues pour éviter que mes élèves aient les mêmes.
 L’école nantaise avait une qualité de rigueur exceptionnelle dans la formation des jeunes. Aujourd’hui (NDLR : en 2003), je  ne sais pas, je regarde de moins près ce qui se passe dans le football.
    Alors quand vous travaillez dans votre passion, à ce niveau-là, avec des jeunes de cette qualité-là, vous êtes marqué à jamais.

    Vous aviez une équipe à Gien ?

    Non, pas vraiment. Les gamins étaient répartis dans huit ou dix clubs avec lesquels ils évoluaient le week-end. 
Mais nous avions tout de même monté une petite équipe pour rencontrer d’autres sport-études le mercredi : il était important pour les gosses de faire des matchs entre eux, en plus des entraînements. Il y avait tous ces garçons qui jouaient en Cadets nationaux à Amilly ou à Orléans, mais aussi à Sully ou à Châteauneuf-sur-Loire et qui avaient donc un bon niveau régional.
    Lorsque Patrice est arrivé, nous l’avions d’ailleurs intégré à l’équipe pour participer à un tournoi national Cadet à Thonon-lès-Bains. Mais comme il était Minime 1, donc plus jeune de deux ans, les adversaires ont refusé que le pauvre gamin joue.

    Combien de temps avez-vous passé à Gien ?

    Sept ans. De 1981 à 1988.

    C’est la seule bonne génération dont vous avez eu la responsabilité ?

    Bonne, non. De cette qualité-là, oui.
 Lorsque j’ai pris la direction du Centre Technique Régional de l’Ouest (C.T.R.O.) à Tours, j’ai eu de très bons éléments, Mickaël Sylvestre par exemple.

    Vieira, peut-être ?
    Non, Patrick était passé par le C.T.R.O. avant mon arrivée. Il était déjà au F.C. Tours lorsque j’ai pris mes fonctions.

    Patrick Gaspéroni debout, à l'extrême-gauche. Patrice 5eme debout en partant de la gauche. Franck Gava, accroupi, 5e en partant de la gauche.
    Sélection du Loiret – 1984/1985

    Qu’est-ce qui définit un joueur « au dessus de la moyenne » à cet âge-là ?

    Tous les gamins qu’on a eu bossaient énormément, je n’ai que du respect pour des jeunes pareils. Je n’ai pas de souvenirs de garçons « hors jeu » au niveau de l’état d’esprit. Mais Patrice, Franck, David Le Frapper et Cédric Lécluse un peu plus tardivement, puis Sylvestre et quelques autres que j’ai eu à Tours, avaient des qualités supérieures aux autres.

    Pour évoquer plus précisément Patrice, il est arrivé en Minimes 1ère année, alors qu’on débutait généralement avec des deuxième année. Son attitude avec le ballon était exceptionnelle, il lui collait déjà aux pattes. Comme tous les bons dribbleurs, personne ne lui a jamais appris à dribbler, c’était instinctif, inné. Le centre de gravité toujours au dessus du cuir, sa protection de balle, etc. C’était impressionnant. Il avait en lui des comportements avec le ballon qu’il n’avait manifestement pas appris. Il était très fort techniquement, il voyait bien le jeu, malgré la zone relativement restreinte dans laquelle évoluait, puisqu’il jouait devant. Il manquait évidemment de puissance : en Minimes 1, il était taillé à la hache dans un rayon de vélo (rires) !

    Sur ses capacités d’apprentissage, c’était également incroyable. Deuxième entraînement, j’aborde les permutations. Je lui dis UNE FOIS qu’on n’appelle pas trop un ballon dans l’axe du but mais qu’on croise les courses… Je ne l’ai jamais répété. L’orientation du corps par rapport aux prises de balles, l’objectif d’aller vers le but : UNE FOIS ! C’était fini. Dans un cas comme celui-là, on se dit presque qu’on ne sert à rien (rires).
    Il bossait. Il était sérieux. Il était poli, à l’écoute. Il était adorable, Patrice… En classe, il n’était ni meilleur ni moins bon qu’un autre, c’était un élève à peu près normal. Il aurait sans doute pu faire une seconde si ça n’avait pas fonctionné avec le football.
 


    Que pensez-vous lui avoir apporté ?

    Notre défi, c’était de donner aux jeunes les repères du très haut niveau, et maintenir chez eux le degré de motivation. Ce que faisait Patrice avec Amilly en Cadets nationaux, il le faisait bien, mais il devait apprendre à le faire dix fois mieux, dix fois plus vite, et dix fois plus longtemps. C’est ça, le très haut niveau.
    Il fallait développer chez eux la confiance en leur donnant les bases. Techniquement, ils devaient être irréprochables. Sur le plan physique, sur les bases d’endurance, de vitesse et de souplesse, ils devaient avoir bossé, et bien bossé. Enfin, il fallait leur donner une culture tactique, parce que l’objectif de la pré-formation, c’est de leur apprendre à s’adapter partout.
    Je leur expliquais le lundi, des tactiques comme le WM, le 4-2-4, le 4-3-3… Pourquoi on joue comme ça, quelles sont les zones de jeu où on déclenche un appel de balle, une préparation, une récupération de balle… Tout était basé sur la culture tactique.
    Patrice, avec ses grandes qualités techniques, tactiques, humaines et sa grande facilité d’assimilation de tout ce qui était nouveau, représente pour moi encore aujourd’hui une référence par rapport au travail que peut apporter une structure de pré-formation à un jeune de qualité. Entre nous, pour un professeur, un élève pareil, c’est un rêve…(long silence).
    Après il y a la notion de buteur. Ce qui pouvait le mieux concrétiser sa réussite, c’était de mettre le ballon au fond des filets. Et ça, il savait faire aussi.

    Une journée de travail typique de « Gaspé »© 🙂

    C’était pourtant son talon d’Achille à ses début, à Nantes…

    Peut-être, mais c’était un problème de confiance en lui à l’époque. 
C’est un discussion que Guy Ferrier et moi-même avions eu avant les vacances de Noël 1984/1985, avec Patrice et Franck qui partaient tous deux aux présélections des Coupe de Ligue à Blois. On leur a expliqué pourquoi ce tournant était très important, que tout ce qui avait été travaillé et acquis depuis, c’était super. Mais que désormais, il ne fallait plus se contenter de s’entraîner, il fallait aller au bout, donner tout ce qu’ils étaient capable de donner, sans retenue, parce que Patrice et Franck étaient des garçons réservés, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est un trait de caractère qui peut vite se retrouver sur le terrain, et poser des problèmes, notamment à un attaquant.

    Patrice était quelqu’un de très collectif lorsqu’il était jeune. Il remettait bien les ballons, il aimait bien les donner. Mais un attaquant, un buteur, lorsqu’il rentre dans les trente derniers mètres, à un moment donné, doit être égoïste et essayer de la mettre au fond. Patrice avait ce côté généreux depuis tout jeune. On a donc essayé de lui faire comprendre ça, de lui donner un esprit « commando ». Car si on analyse un peu ce qui se passe psychanalytiquement, on ne va pas marquer un but, on va « tuer ».
    La personnalité réservée du garçon influait sur le comportement du joueur, c’est évident (long silence).

    J’ai une image un peu idyllique de lui, tant au niveau de ses qualités que de son comportement et de sa motivation. Mais derrière ça, il y avait une fragilité, une timidité. C’était un jeune qui n’osait pas. Ce n’était pas de la peur, c’était comme ça qu’il voyait les choses. Il pouvait mettre le but, mais non, il mettait le ballon en retrait. Il aimait le beau jeu, il a toujours aimé les « bons » coups, quand les actions étaient bien préparées… Mais pour un attaquant c’est l’efficacité qui compte, surtout quand on vise le haut niveau. On parle toujours du beau jeu « à la nantaise ». Mais ce n’est pas du beau jeu POUR du beau jeu ; le but, c’est de mettre le ballon au fond des filets.

    Pourquoi, selon-vous, était-il comme ça ?

    (Long silence) Je me souviens qu’il a eu une période difficile à Nantes. Il m’avait rendu visite à Gien quelques mois après son arrivée, pensant qu’il allait être viré.
    Ses parents sont des gens extraordinaires. Ils les ont toujours soutenu, aussi bien lui que son frangin –  l’autre « nain de jardin », William – que j’ai eu après le départ de Patrice (rires). Leur mère était toujours très inquiète pour eux, hyper protectrice. Quant à Pascal, leur père… Quel bonhomme, c’était vraiment folklorique, un vrai poème (rires) ! Je ne sais pas si Patrice n’a pas grandi plus vite que son paternel (rires) ! Le contraste avec Patrice – qui était un gamin très, très responsable – était assez saisissant.
    Peut-être qu’à ce moment charnière de son existence – le passage à l’âge adulte – l’influence inconsciente des parents d’un côté et la recherche de sa personnalité propre de l’autre, a pu expliquer ça.


    Le départ du F.C. Nantes

    Patrice, avec la réserve Nantaise au stade Marcel Saupin

    Vous avez eu Patrice jusqu’à ce qu’il parte à Nantes ?
    Absolument. Je m’en souviens d’autant mieux que c’est arrivé à un moment important de ma vie. Pour fêter la fin de l’année scolaire et le départ de Patrice au centre de formation du FC Nantes, son père avait organisé une java chez eux, aux Bordes (entre Sully et Dampierre en Burly), avec Jef Laurent, les Gava, moi-même et quelques copains. J’étais jeune marié, ma femme était sur le point d’accoucher, et arriva ce qui devait à arriver : coup de fil de ma femme chez les Loko vers minuit, Pascal sortant le champagne et moi déguerpissant comme un fou furieux pour rejoindre mon épouse (rires). Finalement, mon fils Mathieu est né vers 14h00, le jour de la fête des pères 1985.
    Après ça, effectivement, Patrice est parti à Nantes. L’année suivante, il est en équipe de France junior, et c’est parti pour lui.

    Avait-il alors une idée précise de la carrière qu’il souhaitait mener ? Vous faisait-il état de ses rêves de footballeur ?
    Je ne sais pas. À notre niveau, on évitait que les gamins se fassent trop d’illusions, mais sans leur enlever le rêve. On ne pouvait pas leur dire « il n’y en a que 2 ou 3% qui deviennent pros, vous n’y arriverez jamais » ! Du reste, ce genre de jugement à l’emporte-pièce n’a aucun sens. On ne peut jamais savoir ce genre de choses à l’avance. J’ai vu d’anciens élèves de Gien devenir professionnels alors que je n’aurais jamais parié un centime sur eux. 
Patrice, lui, avait tout pour réussir.
    Après, il y a toujours les risques de blessure, la chance, être bon le jour des sélections… Ça se passe comme ça au début. La coupe nationale de Ligues, comme celle à laquelle Patrice a participé, dure une semaine. Test le matin, match l’après-midi, ça va très vite, il ne faut pas « se louper ». Si un matin on est très bon et que les recruteurs ne se sont pas levés où sont arrivés dix minutes en retard… vous voyez ce que je veux dire. Ça tient parfois à un fil.
    Patrice était très impressionnant de toute façon. Lui et Franck avait été repérés bien avant la Coupe nationale des ligues. Aldo Platini était par exemple venu le voir à Gien à l’occasion d’un tournoi triangulaire contre Onzain et Tours. Il les voulait tous les deux, c’était clair. Il a eu Franck car Patrice avait déjà choisi Nantes.

    Pourquoi ce choix, à votre avis ?

    Parce que c’est un garçon raisonnable. Il sentait toujours ce qui était bien pour lui et ce qui ne l’était pas. À propos de Monaco par exemple, il m’avait avoué : « c’est un hôtel 4 étoiles, mais  je ne me vois pas là-bas ». Il avait besoin de confidentialité, de se sentir dans une structure qui lui rappelle peut-être un peu la section. Nantes c’était un peu ça, tout comme Auxerre et Nancy.

    De l’aveu même de Patrice, vous êtes, avec Jean-Claude Suaudeau, un des deux entraîneurs qui l’ont le plus marqué. Comment l’expliquez-vous ?
    Peut-être parce que la préadolescence est un période référentielle pour ces garçons-là. On leur donnait à vivre leur passion cinq fois par semaine. On était tout le temps ensemble, j’étais leur professeur principal. Je pense d’ailleurs qu’ils n’en pouvaient plus de « Gaspé » au bout de dix mois, même si on s’entendait bien. C’était un suivi scolaire, médical et sportif permanent.

    Guy Ferrier et moi-même avions une attitude très attentiste : on était toujours là pour eux en cas de besoin, mais on était en retrait. On n’allait pas vers eux s’ils ne faisaient pas la démarche. Après leur départ, on n’a jamais trop osé les appeler. C’est plutôt eux qui le faisait.

    Ça parait comme ça très fun et très « club med », mais ce n’était pas toujours facile pour les gamins, parce que j’avais une attitude très, très autoritaire. On bossait très dur, on était très exigeant avec eux. Je ne leur passais rien : s’ils faisaient les cons, ils étaient virés, il n’y avait pas de marge d’erreur. 

    La contrepartie de ça, c’est que nous autres, professeurs, devions être disponibles pour eux, en cas de besoin. Je crois que ça a beaucoup resserré les liens entre nous. Les gamins se sentaient bien encadrés. Mais leur réussite individuelle, ils ne la doivent qu’à eux. Nous, on les entraînait comme les autres, on n’a rien fait de plus que ce que nous devions faire.

    Coupe 1998, avec Gava, Revault et Cissé (photo : Ch. Gavelle - PSG)
    Coupe 1998, avec Gava, Revault et Cissé (photo : Ch. Gavelle – PSG)

    Vous avez gardé un lien avec les élèves de cette époque ?

    Pendant des années, Patrice et Franck revenaient toujours nous voir à Noël. On organisait pour l’occasion un petit tournoi avec les profs et les élèves.
    Patrice m’a offert son premier maillot en équipe de France Junior l’année d’après son départ…
    Il y avait un côté très familial et très convivial, je suppose pour les raisons que je viens d’évoquer.

    Ensuite, on a tous eu des trajectoires de vie différentes, on s’est retrouvé parfois dans des situations un peu compliquées. Les relations deviennent difficiles à entretenir sur le long terme, mais ça ne veut pas dire qu’on s’oublie. Je pense très souvent à eux, je les appelle toujours « les merdeux », comme à l’époque. J’ai gardé une vraie tendresse pour ces gamins. Ils ont tellement bossé, fait tellement de choses extraordinaires…

    À titre personnel, je suis le parrain de la fille de Franck, mais je ne l’ai pas vu depuis quinze ans, c’est terrible. Patrice, je l’ai eu au téléphone plus régulièrement, ou moins irrégulièrement devrais-je dire. J’ai suivi sa carrière de loin en loin, mais j’ai évidemment été au courant des étapes marquantes de sa carrière et de sa vie.

    Par exemple ?
    Je l’avais eu au téléphone au moment de sa signature au Paris Saint-Germain. Je crois qu’il avait eu quelques petits incidents à Nantes à ce moment-là, ça ne s’est pas très bien passé avec Suaudeau. Paris l’avait sollicité au début de la saison 94/95, mais Nantes n’était pas chaud pour le laisser partir, et lui a proposé un deal du genre « tu fais une super saison avec nous, et on te laisse aller à Paris l’année prochaine ». Derrière ça, il fait une super saison, champion, meilleur buteur du championnat, et il sent que Nantes ne le lâchera pas. Là, il a fait quelque chose qui ne lui ressemble pas, c’est-à-dire rester dans le car, ne pas s’entraîner… bouder en somme, jusqu’à ce que le transfert se réalise…

    Patrice a toujours eu, depuis tout jeune, une vraie conscience professionnelle. Ces agissements n’étaient vraiment pas « le genre de la maison »… au contraire.
    
Patrice parle peu, mais c’est un homme de confiance. Quand on ne tient pas parole, qu’on ne joue pas le jeu avec lui, non seulement il se sent trahi, mais en plus il ne comprend pas, et sa réaction peut-être très vive dans le découragement. Ce transfert, qui devait être une fête pour lui – il faut bien comprendre que Paris, c’était le rêve de sa vie – s’en est trouvé gâché. Je sais – parce qu’il me l’a dit – que ça l’avait profondément atteint.

    Je suppose que c’est une des raisons, avec d’autres, qui peuvent expliquer ce qui s’est passé ensuite.

    Transfert au Paris Saint-Germain

    Comment avez-vous vécu ce qui lui est arrivé juste après, vous, l’ancien éducateur et ami ?

    Pas bien, évidemment. Une dépression, c’est un accident de la vie, tout le monde peut être sujet à ça. Quand on vit sur le devant de la scène tout le temps, c’est beaucoup plus voyant que pour n’importe qui. J’ai moi-même fait des choses peu glorieuses à un certain moment de mon existence, et j’avais pourtant dix ou quinze ans de plus que lui. Tout le monde les a oubliées – ou presque – et ça n’intéresse personne. Dans le cas d’un Patrice Loko signant au P.S.G., ça faisait la Une des journaux pendant des jours, avec des articles particulièrement moralisateurs souvent, et orduriers parfois.

    Patrice est quelqu’un de sain, de clair ; ce n’est pas une personne « tordue », c’est donc quelqu’un qui n’anticipe pas les mauvais coups parce que lui-même ne les imagine pas pour lui et pour les autres. Fatalement, il a plus de risques de se faire avoir.

    Mais en mettant de côté l’attitude d’une partie de la presse à l’époque, plus généralement, qu’on puisse porter un jugement dans ce genre d’affaire aurait tendance à m’agacer prodigieusement.



    (Il réfléchit) Je ne sais pas ce qui a pu se produire réellement, et à dire vrai, c’est pour moi d’un intérêt relatif. Le seul message que je voulais lui faire passer en l’ayant au téléphone à l’époque c’était « si tu as besoin de te mettre au vert, tu viens à Tours, on ira se changer les idées ». Je pensais par exemple que le faire parler d’un passé où il était en pleine réussite, pouvait l’aider en le valorisant.


    Aujourd’hui, quand j’entends des gens parler de lui, je ne dis pratiquement jamais que je le connais. Mais je me rends compte qu’il est reconnu sportivement. Finalement, c’est le plus important dans la carrière d’un footballeur, ne serait-ce que pour qu’il gère au mieux sa sortie du football, car un jour ou l’autre, ça s’arrête.

    France / Slovaquie - 1995
    France / Slovaquie – 1995

    Et les conséquences sur sa carrière ?

    Des accidents de vie peuvent expliquer qu’il n’ait pas eu la trajectoire de carrière complète qu’il aurait pu avoir. Il aurait tout à fait pu avoir « la totale ». Patrice, en pleine possession de ses moyens, avait largement sa place dans le groupe pour la Coupe du Monde 1998. Quand on regarde l’équipe, la préparation psychologique d’Aimé Jacquet, l’état d’esprit « commando » mis en place, ça lui correspondait parfaitement. Solidarité, volontarisme… pour moi c’est une évidence. Ça m’a vraiment attristé qu’il n’y aille pas.
 Mais en dépit de ça, Patrice peut vraiment être très fier de son parcours.