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    LE JOURNAL DE PATRICE

    Patrice nous raconte façon journal de bord un jour "ordinaire" de match, celui qu'il dispute avec l'E.S.T.A.C. contre l'A.J. Auxerre, le 16 février 2002.

    JOUR DE MATCH

    Samedi 16 février 2002 - E.S.T.A.C. / A.J.A.

    L’ESTAC – 2001/2002

    08H15
    Réunis « au vert » depuis le vendredi soir, tout l’effectif troyen a investi un hôtel en périphérie de Troyes. Je partage ma chambre avec l’international Suédois Mickael Svensson, et après notre réveil, nous descendons en salle des petits déjeuners. Les joueurs de l’E.S.TA.C. nous rejoignent à tour de rôle et chacun se salue amicalement.
    Mon petit déjeuner est habituel : café, petits pains grillés, salade de fruits, yaourt avec des céréales et jus d’orange. Réunis autour d’une grande tablée, la discussion s’articule autour du tournoi de football sur Playstation organisé la veille par les plus jeunes.

     

    09H00
    Retour dans la chambre, je me prépare pour le petit réveil musculaire du matin. Mickael et moi regardons les informations sur CNN-TV et plus particulièrement les résultats des Jeux-Olympiques.

     

    09H30
    Rassemblement dans notre salle de réunion pour visionner un résumé vidéo d’un match de l’A.J. Auxerre. Serge Romano, l’adjoint de notre entraineur Alain Perrin, nous expose les forces et faiblesses de l’équipe de Guy Roux. Ils évoluent en 4-4-2 ou en 4-3-3, selon l’équipe rencontrée, avec un meneur de jeu très libre sur tout le terrain. Nous pensons avoir saisi comment les prendre, mais ce soir, il faudra être très fort !

     

    09H55
    Petit footing aux abords de l’hôtel, puis trente minutes « 5 contre 5 » pour se détendre et bien se réveiller. Le travail technique est sérieux mais joyeux et détendu : Les joueurs chambrent lorsque l’un d’entre nous se prend un « petit pont », ce qui m’arrive effectivement et me couvre de ridicule 🙂 ! La tension n’est pas encore palpable.

     

    10H30
    Retour en chambre pour une douche puis lecture de la presse habituelle : Le Parisien – que je lis chaque jour et L’Équipe, qui se fend enfin d’un article sur notre club… Il fait au moins onze lignes J ! J’apprends que mes coéquipiers sont confiants pour la qualification européenne en fin de saison. Je le suis mais avec quelques réserves car notre championnat est très disputé cette année. Lens, PSG, Lyon et Troyes sont bien entendus mes favoris pour les places européennes.

     

    11H30
    Je téléphone à ma famille : Muriel, ma femme, et mes enfants, Johan et Vanille, qui ont comme moi passé une très bonne nuit. Johan a hâte de voir le match à la télé et espère que nous allons le remporter. Quant à Vanille, qui a six ans et demi, préfère m’envoyer des bisous à travers le combiné.

     

    12H00
    Tous les retardataires au déjeuner auront une petite amende de quelques euros. L’argent ainsi récolté dans la caisse des joueurs servira à organiser un repas en fin de saison dans un restaurant à thèmes, suivi d’un « verre de l’amitié » dans un salon de thé très select, le « Disco-Thèque » si j’ai bien compris 🙂
    Le déjeuner est habituel : crudité, thon, œufs, saumon grillé avec du riz, puis yaourt et fruits. L’ambiance entre joueurs est toujours sympathique et détendue. Le staff technique déjeune de son côté.

     

    12H45
    Direction le bar pour un café avec le reste de l’équipe, nous finissons les discussions et je remonte dans ma chambre, finir mon journal, et entamer une sieste de deux heures. Mickael s’est lui endormi avant moi. Le sommeil avant un match est une chose sacrée depuis le début de ma carrière, j’en ai toujours fait… sauf la seule fois où j’ai partagé ma chambre avec mon meilleur ami, Nicolas Ouédec, qui lui ne dort JAMAIS 🙂 !

     

    16H15
    Réveil puis collation : Pain, Beurre, Confiture, Café, Kiwi, Gateau de riz et jus d’oranges. Non, un footballeur professionnel ne passe pas sa vie à manger 🙂 !

    Le match aura lieu dans trois heures heures, le repas est silencieux : mes partenaires ne sont pas encore tous bien réveillés, et peut-être que la pression commence à envahir les têtes de certains. Ce n’est pas encore mon cas, et je taquine Alain et Serge, nos coachs, car ils me semblent bien détendus pour un jour de derby 🙂

    !

    16H45
    Dernier retour en chambre. Je prépare mes affaires pour le départ qui aura lieu vers 18H00. Le match Nantes / Lille va bientôt débuter, il est retransmis sur Canal +. J’espère que les canaris vont l’emporter, un dirigeant viendra nous communiquer le résultat final plus tard, dans les vestiaires.

     

    17H45
    La « causerie » d’avant-match débute. Nos coachs nous rappellent comment déstabiliser l’A.J.A. et nous communiquent la composition de l’équipe qui débutera le derby.

     

    Odile Crevot, supportrice n°1 de l’ESTAC

    18H10
    Notre bus arrive avec un peu de retard. J’en ai profité pour parler avec Alain et Serge des tactiques employées durant ma « petite » carrière par mes différents entraineurs. J’apprends encore chaque jour.

    Je m’assoie à coté de Samuel Boutal. Chacun a ses trucs pour se relaxer avant le match , moi j’allume mon CD portable pour écouter mes chansons porte-bonheur (N.A.P., Les LASCARDS, TÉTÉ), tout en savourant ma Chupa-Chups !
    Nous arrivons au stade de l’Aube, acclamés par nos supporters déjà présents. Odile, notre supportrice numéro un est à sa place à l’entrée du stade. La fête s’annonce très belle.

     

    18H30
    Je vais voir l’état de la pelouse et j’en profite pour aller toucher le poteau et les filets de buts. C’est un petit rituel qui me rassure. Je salue Yann Lachuer, mon ancien coéquipier du Paris Saint-Germain.

     

    18H45
    Je rentre aux vestiaires et suis le premier à me faire bander les chevilles par notre kiné Stéphane, qui est très consciencieux. Le vestiaire est calme : quelques joueurs se font masser, d’autres s’habillent ou jonglent avec le ballon. Moi, je cire mes chaussures de foot comme à chaque fois avant l’entrée sur le terrain. Stéphane m’appelle, il va me préparer les jambes en les massant soigneusement.

     

    19H25
    Christian, notre préparateur physique nous appelle sur la pelouse pour débuter l’échauffement. Nos supporters sont déjà chauds, on sent que c’est un match particulier. La tension monte d’un cran. Mon échauffement débute doucement, puis s’accélère. Notre petit jeu à deux équipes terminé, je me concentre sur mes tirs devant le but pour être prêt dans quinze minutes. Pendant cet échauffement, nous nous regroupons sur le terrain en cercle, pour nous encourager. Quelques joueurs prennent la parole. Moi, j’insiste sur le respect des choix de jeu d’Alain Perrin, et sur notre implication pour nos supporters.

     

    19H50
    Fin de l’échauffement, mon corps est enfin prêt à subir l’intensité et les chocs de ce match, comme à chaque fois. Je rentre au vestiaire.

     

    19H55
    Mon maillot enfilé, je retire mes bijoux (bague et collier). J’encourage encore une fois mes partenaires avant de leurs taper dans les mains pour leurs exprimer ma solidarité. Je prends la bouteille de Champagne de notre sponsor que je m’apprête à remettre à notre adversaire du soir. À présent, l’arbitre assistant examine la taille de mes crampons, avant de m’avancer dans le couloir qui mène au terrain. J’espère que le trio arbitral sera à la hauteur de l’événement. J’ai toujours respecté les décisions des « hommes en noir » et suis fier de n’avoir jamais pris un seul carton rouge en onze années de carrière.
    Je rentre sur le terrain en dernier, accompagné par un jeune footballeur troyen, en sautillant sur mon pied gauche et en faisant mon signe de croix : C’est un rituel un rituel incontournable.
    Toute l’équipe salue nos supporters, puis j’offre la bouteille de champagne au capitaine auxerrois. Tout en encourageant mes partenaires, je rejoins le rond central. Les tribunes se calment, une jeune fille handicapée du même âge que ma fille donne le coup d’envoi fictif du match. Je réalise encore plus la chance qu’il m’est donnée de courir et de sauter sur un terrain…

     

    20h00
    L’arbitre siffle et le public se déchaine. Le ton est donné, le derby vient de démarrer !
    Nous faisons un bon début de match et nous créons d’ailleurs la première occasion, sauvée par Fabien Cool, le portier auxerrois. Mais quelques minutes plus tard, c’est l’horreur : dans une « forêt de jambes », le ballon revient à Djibril CISSE qui fusille notre gardien de but Stéphane Cassard, et ouvre le score. Je suis énervé par ce but, mais je sais que nous allons revenir, car nous dominons. Sur un corner, seul au deuxième poteau, je reprends le ballon instantanément, mais Cool s’interpose à nouveau. Le tournant du match a lieu peu après : Nicolas Goussé dribble le gardien auxerrois qui le déséquilibre. Le ballon est passé, pas mon copain. Le pénalty est évident, mais l’arbitre décide consulter son juge de touche… lequel n’a rien vu ! L’arbitre central siffle un renvoi aux six mètres. Nous sommes fous de rage !
    L’énervement nous gagne, les fautes se multiplient et les sanctions fusent, toujours dans un sens : le nôtre !

     

    20H45
    A la mi-temps, les entraineurs s’efforcent de nous indiquer la stratégie à suivre pour revenir dans le match durant les quarante-cinq prochaines minutes.

     

    21H00
    La seconde période débute sur un ton élevé, mais c’est encore Auxerre qui marque après dix minutes de jeu. Les esprits s’échauffent, les supporters doutent, on ne les entend plus.
    Nico Goussé réduit le score et réveille les tribunes. Ce sera chaud jusqu’au bout. Je me suis démené tout le match (appels de balles dans le dos de la défense, solutions dans les espaces, une-deux, frappes au but), mais en vain : l’arbitre siffle la fin de la rencontre.
    Les quatre tribunes applaudissent ce beau derby indécis. Après avoir salué mon ami Yann Lachuer, qui m’adresse un mot de réconfort très sympathique, je rentre au vestiaire dépité, en saluant ces visages venus nombreux pour nous soutenir.

     

    22H00
    Tous les joueurs sont dégoûtés : tant d’efforts pour rien et trois points de perdus. Les oreilles de l’arbitre doivent siffler, le pénalty refusé nous reste en travers de la gorge. Puis le vestiaire redevient calme. Les dirigeants et les joueurs non retenus pour le match viennent nous réconforter. Je prends ma douche, puis monte dans les salons V.I.P. pour prendre le verre de l’amitié et signer quelques autographes. Les télés montrent la faute non sifflée. Je ne dis rien, c’est trop tard désormais, il faut passer à autre chose. Une dernière signature et je rentre chez moi. Je regarde la fin de « Jour de Foot » et notre nouveau classement : nous abandonnons la cinquième place. À la fin de l’émission, J’essaie de manger quelques spaghettis, mais elles passent mal : mon estomac est encore trop noué par la tension nerveuse accumulée lors de la rencontre. Je pars m’allonger sur mon lit, je visionne un reportage enregistré pendant la semaine, puis j’enchaine sur les Jeux Olympiques. J’essaie d’oublier et de décompresser.

     

    03H10
    Il est tard, mes yeux commencent à se fermer. J’éteinds la T.V et prépare mon réveil pour le lendemain à 7H45. L’entrainement est à 9H15. Je ferme les yeux, je dois oublier le match et penser à autre chose. La nuit sera courte. Nous sommes déjà le dimanche, c’est la fin des vacances en Bretagne pour ma femme et mes enfants. Je me languis d’aller les chercher à l’aéroport. Ces jours sans eux furent longs.